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Territoire, vous avez dit territoire(s) !

Si la notion de territoire semble être parfaitement intégrée dans le langage courant, il n’est pas certain que son sens soit le même pour les différents acteurs. Une synthèse sémantique d’actualité.

Depuis plus d’une vingtaine d’années maintenant, en France et dans d’autres pays francophones, le concept de territoire est toujours plus présent dans la littérature, la presse écrite, les textes juridiques ou Internet…


Terme situé à la croisée de plusieurs champs disciplinaires, de nombreux géographes, économistes ou sociologues notamment ont contribué ces dernières décennies à faire avancer la réflexion autour de ce concept en proposant de nombreuses définitions et caractéristiques. Parfois si nombreuses, qu’elles en arriveraient presque à diminuer la portée de la signification de ce puissant terme qui regroupe à lui seul près de 65 millions de résultats lors d’une simple recherche sur Google...


Si la notion de territoire semble être parfaitement intégrée dans le langage courant, il n’est pas certain que son sens soit le même chez les différents acteurs (habitants, entreprises, collectivités, État, UE etc.) qui le composent et le façonnent...
Territoire, vous avez dit territoire(s) !?


Territoire comme…


Terre

Formé par la racine « terra », le mot territoire apparaît au moyen-âge pour définir alors une terre, un pays plus ou moins étendu et présentant une relative unité géographique, économique, humaine ou politique. Ce n’est que plus tard, au XVIIe siècle, que ce terme désignera une forme d’emprise politico-administrative exercée par un État sur une portion terrestre délimitée. A la fin du XIXe, le dictionnaire le Littré définit le territoire comme une «étendue de terre qui dépend d’un empire, d’une province, d’une ville, d’une juridiction».


Étendue

À ce jour, le sens en a été dépolitisé et le territoire se définit communément comme une étendue terrestre à échelle variable occupée, aménagée, administrée et gérée par un groupe ou une collectivité. Ce mot conserve une signification profonde et constante, c’est-à-dire, le rapport d’une société à son espace. Selon le géographe Antoine Bailly, le territoire constitue également un ensemble complexe de pratiques, représentations et appartenances multiples. Ce serait pour ce dernier un lieu d’identification et d’appropriation auquel on a avant tout conscience d’appartenir : quartier < commune < agglomération < bassin de vie < aire urbaine < région < pays < continent...


Phénomène

En référence aux travaux phénoménologiques et sémiologiques, trois dimensions apparaissent : le territoire vécu (en référence au réel), le territoire perçu (issu du prisme de la représentation individuelle et collective) et le territoire conçu (en tant que phénomène ou savoir construit et approuvé collectivement). Ce triptyque permet notamment de comprendre la relation complexe qui lie les êtres humains à leur terre et qui fonde par ailleurs leur identité culturelle. Dans cette approche, le territoire, en tant que phénomène, nous est alors donné tel que nous l’organisons grâce à notre propre faculté de représentation. Les théories et concepts associés ne sont rien d’autre alors que les objectivations d’une volonté à la fois individuelle et collective de (sur)vie dans cet espace commun de partage… soit, le territoire comme volonté et représentation.


Emprise administrative

Pour les élus, techniciens et autres acteurs de l’aménagement, le sens sous-jacent attribué aux territoires fait le plus souvent référence aux collectivités ou établissements de coopération intercommunale (EPCI) allant du niveau communal à celui régional (communes, communautés de communes, départements, régions...). Et malgré les compétences respectives attribuées par le législateur et les efforts de rationalisation, « les compétences des collectivités restent empreintes d’un enchevêtrement qui rend parfois peu lisibles leurs interventions respectives et les limites de ces interventions » (cf. Droit des collectivités territoriales, avril 2016).


Système

Quotidiennement, les collectivités, l’État, les individus, les familles, les entreprises, les communautés… vivent, investissent, exploitent, aménagent, équipent, construisent, transforment respectivement et progressivement leur environnement. Afin de donner du sens à ces mouvements complexes et à leurs effets parfois inattendus, le territoire est alors appréhendé comme un système où les relations entre les lieux et les acteurs forment un tout organisé d’éléments en relation les uns avec les autres… Ces systèmes territoriaux ne sont pas des supports neutres accueillant l’activité humaine quotidienne mais ils demeurent de par les projets, actions, et pratiques quotidiennes à la fois produits et producteurs des sociétés qui y sont implantées ou connectées.


Espaces protéiformes

Il existe toutefois d’autres critères qui aident à la définition et l’identification des territoires par les occupants. Bien que ces espaces n’aient pas de valeur juridique, ils forgent quotidiennement une représentation à la fois individuelle et collective, selon leurs aspects naturels (relief, végétation, climat...), culturels (gastronomie, patrimoine, dialectes...), socioéconomiques (économie locale, secteurs d’activité, CSP...), politiques (élus locaux emblématiques), imaginaires, utopiques, médiatiques, sociologiques… C'est le cas par exemple des territoires médiatiques (« Nord-Est », « Provence », « cité des 4000 », « Larzac »...), paysagers (« Cévennes », « Gâtinais »...), légendaires (le « Gévaudan » et sa bête), imaginaires (« Terre du Milieu » de l'écrivain Tolkien), conflictuels (« Palestine », « Crimée », « Syrie »...), etc.


Aussi, les évolutions sociétales récentes participent-elles enfin à l’émergence de territoires d’une autre nature. Diffus, immatériels, réticulaires, ces territoires du XXIe siècle s’appellent « réseaux », « toile », « cloud »... À la croisée des intérêts individuels et collectifs, ils n’ont plus besoin de faire corps dans un espace plein et délimité : ils trouvent leur raison d’être dans les projets qu’ils portent. Ils suscitent de nouveaux modes de pensée et d’action pour construire les espaces d’épanouissement individuels et collectifs (gouvernances, coopérations, co-voiturage, crowdfunding, plateformes communautaires...) Nul besoin aujourd’hui d’être contigus pour former des territoires agissants et performants…


Mais ces nouveaux territoires réticulaires ou déconnectés de leur emprise terrestre peuvent-ils encore s’appeler « territoire » ? A ce jour, il semble que les paradigmes changent si rapidement que les institutions peinent à les suivre. Aussi, une inadéquation croissante entre des territoires institutionnels figés et de nouveaux territoires fonctionnels en perpétuel mouvement ne viendrait-elle alors pas menacer directement la pertinence de la décision publique et le rôle même du politique ?


Par Pierre Clap, chargé Connaissance et prospective territoriale, Agence d’urbanisme Besançon Centre Franche‑Comté, avril 2015

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