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Photo_ADiaconu.jpg Adriana Diaconu, Institut d’urbanisme et géographie alpine (Université Grenoble Alpes) et laboratoire Pacte

Lien entre politique du logement et stratégie métropolitaine.

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Sans abrisme

Une question d’hospitalité métropolitaine et de gouvernance partenariale

Lorsque les mouvements contraints de populations augmentent à l’échelle mondiale, l’inaccessibilité du logement pour les nouveaux arrivants en situation précaire peut devenir un problème de taille pour un territoire. Toutefois, le manque de solutions d’hébergement pour l’ensemble des personnes dans le besoin, au-delà des catégorisations administratives, a été souvent ignoré ou minimisé. Dans différents pays, lorsque les discours publics présentent le manque de “chez soi” comme étant dû aux caractéristiques d’une population spécifique, des actions publiques criminalisent et déplacent les sans-abris pour les invisibiliser, au nom de la qualité de vie et de la sécurité urbaines (Mitchell, 2020; Speer, 2018).

Le point aveugle des politiques sociales


En France, les actions des métropoles pour l’habitat, orientées notamment vers l’attractivité, ne sont pas les mieux placées pour agir contre le sans-abrisme. Les spécificités du processus de décentralisation, depuis les années 1980, ont éloigné les intercommunalités des politiques sociales, déléguées aux départements, et des politiques d’hébergement temporaire, centralisées et étatiques (Jaillet & Ballain, 1998). Les exclus du logement social, à cause de leur situation administrative, du manque de ressources ou de leur arrivée récente sur le territoire, sont restés ainsi un point aveugle des politiques locales de l’habitat. Certaines métropoles, dont Grenoble-Alpes, investissent cependant progressivement cette question, le nombre de personnes sans solution institutionnelle d’hébergement augmentant constamment depuis 2013. C’est le cas notamment parmi les ressortissants extra européens, comme le montrent les statistiques associatives pour l’Isère (Figures 1 & 2).


Le processus de l’action locale pour l’accueil et l’accompagnement vers le logement


Dans le cadre du programme Popsu, notre travail rétrospectif nous a permis d’éclaircir ce processus de construction récente de l’action métropolitaine pour l’accueil et l’accompagnement vers le logement des nouveaux résidents en situation précaire. Ses débuts se situent autour de l’année 2012, lorsque la Communauté d’agglomération s’associe à la ville de Grenoble et aux acteurs associatifs de l’accompagnement pour réfléchir ensemble à un dispositif expérimental « d’insertion par le travail et le logement » pour les migrants européens vivant en campements ou squats. Depuis ces origines, nous avons pu mettre en exergue trois orientations de l'intervention métropolitaine : identifier et soutenir des actions innovantes, coordonner les actions des multiples acteurs locaux et enfin, depuis récemment, intégrer les actions concernant les réfugiés aux autres politiques et projets locaux. Nous expliciterons ici quelques enjeux qui découlent des deux dernières orientations.


La production de connaissances sur le sans-abrisme : un des enjeux de la coordination métropolitaine


Devant un manque d’enquêtes nationales depuis 2012, les enquêtes de la « Nuit de la solidarité » se sont attelées, en 2019, à quantifier et à identifier les nouveaux visages de l’exclusion du logement sur le territoire métropolitain grenoblois. Par rapport aux chiffres produits par le collectif d’associations AUI Alerte, actif de 2012 à 2018, la coordination métropolitaine ambitionne au passage de « pacifier » les chiffres qui divergent entre associations militantes et institutions, la production de connaissances servant également à l’interpellation et alimentant des relations souvent conflictuelles (Léon, 2018). Toutefois, cette coordination métropolitaine permet de mettre à l’honneur la contribution des acteurs associatifs à la production de connaissances partagées, à la fois sur les besoins, les freins et les leviers pour l’accès au logement.


Vers une gouvernance partenariale ?


Au-delà de l’exploration de ces caractéristiques de l’action métropolitaine, notre recherche a fait apparaître des enjeux qui traversent le monde des associations locales de la solidarité, investies de longue date dans l’accompagnement des plus précaires. Pour jouer un rôle de coordinateur, la Métropole doit composer avec ces caractéristiques, valoriser les interrelations humaines de proximité permettant d’œuvrer à la création d’une « gouvernance partenariale » transcendant monde associatif et institutionnel, comme véritable ressource territoriale (Gumuchian & Pecqueur, 2007), mais aussi reconnaître et pallier les interventions qui la fragilisent.


Enfin, à terme, intégrer le sans-abrisme aux politiques locales de l’habitat et aux projets urbains permet d’associer les acteurs de l’urbanisme à cette gouvernance partenariale bénéfique à la création de solutions nouvelles d’accueil. Cette démarche permet d’identifier des points de convergence avec les potentiels des territoires, comme les logements non utilisés ou en attente de requalification urbaine, pouvant servir temporairement à l’hébergement. L’exemple grenoblois montre comment ces nouvelles manières de faire la ville peuvent se construire par la reconnaissance d’initiatives associatives et citoyennes et de ressources du territoire.


Figure 1 : À partir des données de 65 associations, le collectif AUI Alerte estime les besoins d’hébergement des différentes catégories de populations et les compare aux capacités des dispositifs publics. Entre 2013 et 2018 se dessine une augmentation globale de la précarité et du déficit d’hébergement malgré la croissance de l’offre. Cette tendance s’amplifie avec la prise en compte des mineurs isolés étrangers (MIE) à partir de 2017.

Aux catégories de population comptabilisées à partir de 2013 (Fig. 2) se rajoutent à partir de 2017 les « mineurs non accompagnés ».

Source : L’Hébergement et l’accès au logement des populations en grande précarité en Isère, Collectif AUI Alerte, juin 2018, p.8.



Figure 2 : L’hébergement des quatre catégories de populations sans-abris bénéficiant d’un traitement différent par les institutions publiques recensées entre 2013 et 2018 par le collectif associatif AUI Alerte :

  • « Droits complets » : ressortissants français, ou étrangers bénéficiant du droit de résidence, et éligibles ou logement social

  • « Rom » : ressortissants européens d’origine roumaine et bulgare bénéficiant de dispositifs spécifiques pour la résorption des squats et bidonvilles

  • « Asile » : personnes en procédure de demande d’asile

  • « Droits minorés » : personnes déboutées du droit d’asile, souvent en procédure de recours

Source : L’Hébergement et l’accès au logement des populations en grande précarité en Isère, Collectif AUI Alerte, juin 2018, pp. 9-11.


Entretien avec Emmanuel Boulanger et François Molard


Références bibliographiques :

  • Gumuchian, H., & Pecqueur, B. (2007). La ressource territoriale (Economica Anthropos).
  • Jaillet, M.-C., & Ballain, R. (1998). La mise en œuvre des politiques locales de l’habitat, entre régulation du marché et action sociale. In Segaud, M. et al., Logement et habitat. L’état des savoirs. La Découverte.
  • Léon, V. (2018). Les solidarités face aux flux migratoires : Quelles marges de manœuvre en France aujourd’hui ? [Rapport de recherche]. Groupe URD. (URL)
  • Mitchell, D. (2020). Mean Streets : Homelessness, Public Space, and the Limits of Capital. University of Georgia Press.
  • Speer, J. (2018). Urban makeovers, homeless encampments, and the aesthetics of displacement. Social & Cultural Geography, 20(8), 1‑21.

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