Le numérique a envahi notre quotidien. Il peut tour à tour s’avérer un moyen fantastique et rapide d’accéder à de l’information, d’entretenir des relations ou des réseaux, de faire des achats ou des démarches administratives en ligne, sans plus se déplacer. Il se présente alors, pour la plupart des usagers, comme un vecteur d’accélération, de simplification, de dynamiseur d’opportunités. Mais ce vecteur de modernité et de dynamisme peut au contraire s’avérer, pour ceux qui ne possèdent ou ne maîtrisent pas le numérique, ses outils et ses codes, une source de complexité, d’angoisse, voire de honte et de déclassement social.
Numérique, générateur d’exclusion
Au début simple option ou opportunité, le recours au numérique finit par s’imposer comme une nouvelle norme sociale et tend à générer de l’exclusion, ou à aggraver la situation des plus fragiles. Le basculement dans le « tout numérique » a son corollaire dans la croissance de la « fracture numérique » qui désigne à la fois la question d’un accès inégal aux équipements et aux réseaux d’une part, et à l’appropriation inégal des usages. Cette fracture peut être territoriale – tous les secteurs géographiques ne sont pas encore bien couverts par les réseaux Internet et mobiles, il subsiste des « zones blanches » notamment les zones enclavées de montagne de notre région grenobloise – et sociale : la possession inégale des outils et compétences numériques renvoie aux inégalités sociales qui préexistent.
Entamée il y a quelques années, la politique de dématérialisation complète de l’accès à certains services publics ou prestations sociales s’accélère. Dans le cadre du programme de transformation de l’administration « Action Publique 2022 », le Gouvernement donne priorité à la transformation numérique des administrations avec pour objectif, la dématérialisation de l’intégralité des services publics à horizon 2022. Conçue dans une optique d’améliorer l’accès aux droits, mais rencontrant des enjeux d’optimisation administrative et budgétaire, cette dématérialisation se traduit par la suppression complète de guichets d’accueil des publics, leur remplacement par des bornes informatiques, des services en ligne. Cela concerne les Caisses d’allocations familiales, les services fiscaux, la Caisse nationale d’assurance vieillesse…
Le constat des professionnels de terrain, des travailleurs sociaux et du Défenseur des Droits, dans son rapport « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics » de 2019, est que cela génère de la complexité pour les publics dans l’accès à leurs droits, en particulier les publics vulnérables et qui sont en situation d’illectronisme ou de précarité numérique. Ils insistent sur le nécessaire maintien de plusieurs façons d’accéder aux droits et de guichets physiques, sur le besoin de simplifier les démarches – car digitaliser des formulaires ne les simplifie pas ! – et sur le nécessaire accompagnement humain des publics à l’usage des technologies numériques.
Coup de loupe sur deux territoires, l’un montagnard et l’autre urbain
Qu’en est-il de cette problématique dans un territoire montagnard comme le Vercors, et au sein de l’agglomération grenobloise, qui accueille des quartiers denses, mais aussi des quartiers aux populations fragiles ? Quelles populations sont concernées, quels dispositifs d’accompagnement sont mis en œuvre ?
Le premier constat qui s’impose est que le Vercors, même s’il a déployé des programmes pour pallier une insuffisante desserte numérique (« Vercors Connect » en 1994), bénéficie toujours d’une couverture par les réseaux Internet et mobiles bien moindre que celle de la Métropole. Ce territoire attend avec impatience la couverture par la fibre déployée par le Département. Par ailleurs, il existe peu de structures de formation des publics qui ont des difficultés avec l’usage du numérique, dans un contexte où, par ailleurs, les guichets physiques d’accueil du public sont rares ou ont totalement disparu.
Dans l’agglomération grenobloise, et malgré la bonne couverture globale du réseau, l’association Emmaüs Connect a évalué en 2015 à 30 000 le nombre de personnes en situation de précarité numérique et sociale, dont plus de 5 000 victimes d’une grande exclusion numérique (sans accès, sans usage) et plus de 18 000 ayant un besoin d’accompagnement pour les démarches administratives en ligne. Cela concerne des personnes âgées isolées, des salariés peu qualifiés, des jeunes en difficulté d’insertion, des familles monoparentales pauvres, des habitants en situation d’illettrisme, de handicap...
Dans la difficulté d’utiliser les ressources numériques, l’âge, s’il peut être un facteur, n’est pas le plus discriminant : les problèmes sont avant tout liés à des situations de précarité, d’exclusion sociale, économique, culturelle. La géographie des personnes ayant besoin d’accompagnement recoupe fortement celle des communes populaires, des quartiers prioritaires de la politique de la ville.