Le transect : outil d’interrogation et d’expression de l’espace sensible et des pratiques
Le terme transect désigne plus particulièrement pour les géographes « un dispositif d’observation de terrain ou la représentation d’un espace, le long d’un tracé linéaire et selon la dimension verticale, destiné à mettre en évidence une superposition, une succession spatiale ou des relations entre phénomènes » (Marie-Claire Robic, 2005). Appliqué au développement d’un territoire, le transect est une pratique dont les éléments ont été mis en application dès la fin du XIXe, en particulier par l’urbaniste-botaniste Patrick Geddes en Écosse.
Technique de représentation autant que pratique de terrain, le transect est aujourd’hui revisité. Pour nous, il se présente comme un dispositif hybride entre la coupe technique et le parcours sensible : il se construit par le dessin, la photo, la mesure, le texte ou la vidéo, autant qu’il se pratique_ in situ_, par la perception, la parole, la déambulation, en général par la marche. Réhabilitant de fait la dimension atmosphérique dans les représentations urbaines, rendant possible l’inscription de récits habitants dans les débats spécialisés entre disciplines, le transect devient un outil d’interrogation et d’expression de l’espace sensible et des pratiques vécues.
Passer du plan à la coupe, ou approcher la ville “par le milieu”
Comme tel, le transect permet d'articuler deux postures habituellement dissociées, celles de l'analyse et celle de la conception. S'il emprunte à l’inventaire sa capacité à repérer et collecter les situations les plus différentes, s'il renvoie plutôt aux atlas Mnemosynes d’Aby Warburg et au paradigme indiciaire de Carlos Ginzburg, le passage du plan à la coupe permet de déployer la ville dans son épaisseur sociale, environnementale, historique et projectuelle. Représentations graphiques, récits de vie, perceptions d'ambiance... Le transect devient un espace de travail partageable et amendable entre les acteurs du territoire – habitant, expert, mais aussi décideur et concepteur. En termes deleuziens, nous en faisons le symbole d’une approche de la ville « par le milieu ».
Entre le grand récit, historique, d’une ville et de ses territoires associés et les micro-récits, pragmatiques, de l’usage, nous faisons l’hypothèse que le transect est un instrument de narration idéal pour concevoir les ambiances urbaines de demain comme pour inscrire tout projet urbain ou territorial dans une dynamique articulant héritages choisis et devenirs débattus.
Trois tracés pour explorer les pentes, l’eau, la plaine, ensemble
Dans le cadre de Popsu nous avons mis en place cette méthodologie pour observer, rencontrer et projeter ensemble la métropole. Pour définir les transects, nous avons d’abord réalisé un travail d’atelier multi-acteurs autour d’une photo aérienne géante (6m x 6m) posée au sol, du périmètre de la métropole et de ses massifs proches. Il a s’agit du premier atelier de coordination "chercheurs-acteurs » de la plateforme Grenoble-Alpes Métropole le 27 novembre 2018, à l’Agence d’urbanisme. L’ensemble a été filmé par David Argoud (AAU_Cresson)
Trois tracés ont été arrêtés suite à cet atelier, afin de de focaliser sur une des hypothèses de cette recherche, à savoir, les pentes et l’eau, éléments omniprésents, mais peu mobilisés au regard de l’aménagement de la plaine pour penser le devenir de la métropole.
L’eau et la pente révélés dans leurs logiques d’usage ?
Arpenter collectivement la métropole en convoquant ses géographiques comme déterminants des trois transects, outre d’être une méthode de travail qui met par principe le territoire sous les yeux et les pieds pour en discuter, de se rendre compte à quel point depuis le milieu au moins du XXe nous pensions la métropole sans intégrer ses pentes et ses cours d’eau autrement que comme éléments techniques dont nous devions nous défendre (éboulements, coulées d’un côté, variations et inondations de l’autre), mais qu’il s’agit bien de les penser dans leurs géographies, leurs écologies et leurs paysages, et plus encore selon des logiques d’usages. Les habitants de la métropole eux ne s’y trompent pas, c’est ce que montrent les films réalisés dans le cadre du Popsu par Naïm Aït Sidhoum (Les Films de la Villeneuve), en mobilisant ses lieux comme espace récréatif. Ces traversées ont été aussi l’occasion pour les acteurs du territoire de visiter ou de revisiter des lieux quelque peu oubliés ou délaissés, des lieux au passé riche et aux écologies actuelles de qualité, mais aux existences fragiles.
Grenoble, 3 transects transect 1 : des pentes du Vercors à celles de la Chartreuse transect 2 : de la basse vallée du Drac au plateau Matheysin transect 3 : de Grenoble aux pentes du Grésivaudan paroles de Jacques Roubaud