En 2010, nous publiions, avec Laurence Tubiana et Alexandre Magnan, un petit livre qui essayait d’introduire dans le débat public français l’enjeu de l’adaptation au changement climatique : Anticiper pour s’adapter 1. L’ouvrage fut un échec commercial cinglant, et la plupart des exemplaires finirent au pilon. Le sujet n’intéressait pas.
Douze ans plus tard, à l’été 2022, la France était touchée par des phénomènes climatiques violents : vagues de chaleur, sécheresses et incendies. On réalisait alors la vulnérabilité du pays aux impacts du changement climatique, et on se demandait – enfin ! – quelles solutions d’adaptation on allait pouvoir mettre en œuvre, en déplorant le retard pris en la matière. En urgence, le gouvernement débloquait 500 millions d’euros pour « remettre de la nature en ville » et lutter ainsi contre les canicules.
On aurait pu croire – naïvement sans doute – que les événements de l’été 2022 allaient agir comme un révélateur, et que l’impératif de l’adaptation allait enfin s’imposer, dans le débat public comme dans les politiques de réponse au changement climatique. Pourtant, lorsque le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a annoncé fin février que le plan national d’adaptation au changement climatique comprendrait désormais un scénario d’une hausse de température de 4°C pour la France d’ici à 2100, une pluie de critiques s’est abattue sur ses déclarations, comme si elles marquaient un renoncement de la France dans la lutte contre le changement climatique.
En 2023, on en est encore à considérer le discours sur l’adaptation comme un discours défaitiste, qui s’opposerait à une volonté forte de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il importe pourtant de rappeler deux points essentiels, ici.
Le futur climatique de la France ne se décide pas à Paris
Quel que soit le jugement qu’on puisse poser sur les insuffisances de l’action du gouvernement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France, il importe de rappeler qu’il n’existe aucun lien direct entre les émissions de gaz à effet de serre d’un pays et les impacts du changement climatique que ce pays subira. Toute la difficulté de la coopération internationale se trouve d’ailleurs là : aucun pays ne peut prétendre, par son action climatique, déterminer les impacts du réchauffement qui toucheront son territoire.
Or, les émissions mondiales de gaz à effet de serre n’ont pas encore atteint leur pic, et leur trajectoire actuelle, si elle n’est pas infléchie, nous emmène vers une hausse de la température moyenne sur Terre supérieure à 3°C d’ici la fin du siècle. Et l’on sait que la température se réchauffe plus vite en France que dans d’autres régions du monde : alors que la température moyenne dans le monde a augmenté d’environ 1,2°C depuis l’époque pré-industrielle, le réchauffement atteint déjà presque 2°C en France. Quoi qu’il arrive, la hausse de la température moyenne mondiale aura atteint 1,5°C aux alentours de 2025.
L’hypothèse d’une hausse de la température de 4°C en France n’est donc pas du tout un scénario catastrophe : c’est un scénario médian, qui me semble encore relativement optimiste, et qui va demander, à l’échelle mondiale, des réductions d’émissions considérables.
Éviter l’ingérable, gérer l’inévitable
Mais surtout, il importe de rappeler que le discours sur l’adaptation n’est pas un discours de renoncement, qui viserait à noyauter les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Cet argument avait déjà été utilisé lors des premières sessions des négociations internationales sur le climat : malgré les demandes et réclamations des pays du Sud, l’adaptation était alors considérée comme un sujet interdit, de peur qu’il ne soit utilisé par certains comme un prétexte pour retarder leurs efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce n’est qu’au cours des années 2000 que l’adaptation deviendra un vrai sujet dans les négociations internationales : le Protocole de Kyoto, conclu en 1997, est par exemple muet ou presque sur le sujet.
Nous n’avons plus, aujourd’hui, le luxe de choisir entre l’atténuation et l’adaptation : quels que soient nos efforts pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, certains impacts du changement climatique seront inévitables. Il serait absolument suicidaire de ne pas s’y préparer. Et plus nous anticiperons ces impacts, plus nous parviendrons à réduire les dommages qui y seront associés. Opposer l’adaptation à l’atténuation est insensé, et nous ramène plus de vingt ans en arrière.
Le discours sur l’adaptation n’a donc rien d’un discours de renoncement ou d’inaction : au contraire, vu la situation actuelle, c’est un discours de vérité et de responsabilité, aussi dérangeant à entendre qu’il puisse être. Et le défi de l’adaptation sera considérable : c’est l’ensemble de nos manières d’habiter la Terre qui seront transformées par les impacts du changement climatique. Ne pas s’y préparer reviendrait à se complaire dans le déni et l’aveuglement.
1 Pearson Education France, 2010.
Article paru dans Libération le 8 mars 2023, reproduit avec l'aimable autorisation du journal Libération et de François Gemenne.
entretien avec Jean-François Curci paroles de Pierre-André Juven à voir : Croq'Futurs #1 : scénarios prospective neutralité carbone