Le numérique : une baguette magique ?
Le Numérique est aujourd’hui considéré comme l’outil-clé pour relever les défis de ce qui est désormais notre siècle. Des acteurs de politiques publiques aux entreprises du monde entier, des initiatives locales aux 17 Objectifs de développement durable (ODD) de l’Onu, il ne saurait aujourd’hui y avoir de stratégie d’envergure qui n’y ait recours.
Compte tenu de la capacité des technologies numériques à dématérialiser les flux physiques et à fluidifier l’accès aux produits et services, elles semblent intrinsèquement faciliter la transition environnementale. Or, cette confiance instinctive en l’outil connecté et en l’innovation étiquetée « smart », se doit d’être nuancée par certains constats physiques.
De la matérialité bien réelle du virtuel
Cachée derrière nos écrans et interfaces, l’empreinte physique du numérique est pourtant prégnante. Sa consommation énergétique mondiale augmente d’environ 9 % par an et atteint 3000 TWh en 2018, l’équivalent de la consommation de la France et du Benelux réunis. Les progrès en termes d’efficacité énergétique* tendant à se ralentir, cette consommation pourrait plus que doubler d’ici 2025.
Extraction des matières premières dans les mines, production des produits finis puis livraison : la consommation d’énergie des technologies digitales est due - à hauteur de 50 % - aux processus de fabrication. « Verdir » les sources d’électricité qui alimentent nos infrastructures numériques ne suffirait donc pas à reprendre la main sur leur impact. Il est nécessaire de réfléchir à la manière dont nous utilisons notre outil numérique mondial : sommes-nous bien en train de répondre à nos besoins ?
Pour un système numérique épuré : la sobriété numérique
La sobriété n’appelle pas à déconstruire la transition numérique, au contraire : elle appelle à exploiter son véritable potentiel en la mettant prioritairement au service d’approches compatibles avec les limites planétaires.
Nous avons élevé notre monde numérique comme on n’élève pas sa progéniture : sans le guider. Développement des plateformes de streaming (60 % du trafic de données mondial), de l’ampoule connectée, de la poêle connectée, jusqu’au préservatif connecté : notre capacité à produire des objets numériques n’aurait de limite que celles de notre inventivité… sauf qu’il n’en est rien. À l’heure du questionnement sur la disponibilité des ressources, vérifions que nos usages numériques ont un impact positif net sur nos émissions et nos consommations d’énergie.
Si l’on souhaite construire de véritables villes intelligentes, il faut vérifier, dans chaque cas, que la mise en place d’une technologie ou d’un service numérique est pertinente. Parce qu’une « Smart City » trop connectée serait vulnérable plutôt que résiliente, il serait une erreur de penser que le numérique n’est qu’un simple outil : il s’agit d’un système, d’une infrastructure, dont les externalités doivent être intelligemment intégrées à la stratégie de la ville. Ne bâclons pas nos systèmes les plus prometteurs. Construire nos villes pour le futur plutôt que de simples villes du futur est plus prometteur, à terme. Ayons donc le courage d’être méticuleux.
*Efficacité énergétique : rapport entre l'énergie produite par un système et l'énergie totale consommée pour le faire fonctionner.
vidéo : entretien avec Gauthier Roussilhe chiffre-clé paroles de Maxime Efoui-Hess chiffre-clé paroles de Gauthier Roussilhe paroles de Nicolas Moreau vidéo : conférence : Virage numérique, gouffre écologique ? par Françoise Berthoud (CNRS)