Quel devenir de l’idée de « droit » dans une société numérique ?
À bien des égards pourtant, ces évolutions n’ont eu d’autre effet que de faire évoluer les modes de production et d’application du droit qui existaient jusque-là, sans en changer ni la substance ni le sens. Sans que ne naisse de questionnement sur le devenir même de l’idée de « droit » dans une société numérique.
Mais, ainsi que l’a mis en évidence l’étude annuelle 2017 du Conseil d’État Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’ubérisation ? la révolution numérique qui bouleverse aujourd’hui l’ensemble des sphères de nos sociétés ne nous permet plus d’échapper à cette question fondamentale.
Non. Le droit dans une société numérique ne peut être le même que celui des sociétés industrielles.
« Non » car l’extrême rapidité et la globalité des échanges font ressortir les limites de la territorialité du droit, composante fondamentale de la souveraineté qui lui confère sa légitimité.
« Non » car les transformations qu’entraînent « l’ubérisation » des activités, notamment sur le travail et sur les conditions de production et de distribution des biens et des services, rendent obsolètes une part substantielle des règles existantes.
« Non » car aucun être humain ne saurait par lui-même appréhender ni analyser, notamment pour y déceler des irrégularités, le nombre incalculable de données que génèrent les activités numériques.
« Non » enfin, car chacun d’entre nous est conscient des améliorations qu’apporte le numérique à son quotidien - individualisation des services, rapidité, transparence… - et s’attend légitimement à ce que le droit, sa fabrique, les professions qui l’appliquent et la justice soient empreints des mêmes qualités.
En quête d’un cadre juridique complet et cohérent
La tentation en réponse, de construire ex abrupto de nouveaux cadres juridiques est évidemment instinctive. Autant sans doute qu’elle est vaine. Comment imaginer par exemple pouvoir aujourd’hui construire un cadre juridique complet et cohérent pour les « smart-cities », alors que nul n’est encore capable d’appréhender ce que seront ces villes connectées, jusqu’où iront les interconnexions entre les services, la centralisation des données, ni même quels seront ces services ?
Cette quasi-impossibilité d’anticiper un cadre juridique global n’exclut évidemment pas l’affirmation ou l’adaptation de principes qui nous paraissent devoir être protégés dans les sociétés numériques. Le règlement européen sur la protection des données (RGPD) qui structure la protection de la vie privée à l’ère du numérique en est un exemple évident. Mais la logique qui est la sienne, et qui inspire d’ailleurs les nombreux « bacs à sable » réglementaires autorisés par le législateur national, n’est pas celle d’un cadre prédéterminé de règles ou de suites d’obligations techniques. Et il y a là, peut-être, une piste possible pour tenter de reformer (refonder ?) le droit à l’ère numérique.
Le droit à l’ère numérique : une dynamique de liberté et de partage
Si le RGPD affirme des principes, la logique de « conformité » qui le fonde pour leur mise en œuvre ouvre une dynamique de liberté et de partage des responsabilités bien différente de la logique de contrainte par la réglementation. Liberté quant aux techniques utilisées, liberté d’essayer, liberté de se tromper, liberté d’innover. Responsabilité de chacun des opérateurs de veiller au respect des principes et d’être à même d’en justifier. Responsabilité des régulateurs d’accompagner, de suggérer, de réorienter et, en dernier recours, de sanctionner. En somme, le droit à l’ère numérique est moins des règles omniprésentes que… du droit authentique… des principes et des objectifs de vie en société… dont l’application est une œuvre partagée et la responsabilité de tous.
zoom sur les dispositions de la loi ELAN par Philippe Couillens paroles de Timothée Paris paroles de Philippe Couillens