Grand A le mag - 3 : Décembre 2019

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Le Juriste est un tableau peint par Giuseppe Arcimboldo en 1566, désormais conservé au National Museum à Stockholm Le Juriste est un tableau peint par Giuseppe Arcimboldo en 1566, désormais conservé au National Museum à Stockholm

paroles de Timothée Paris

Non. Le droit dans une société numérique ne peut être le même que celui des sociétés industrielles.
Non » car l’extrême rapidité et la globalité des échanges font ressortir les limites de la territorialité du droit, composante fondamentale de la souveraineté qui lui confère sa légitimité.

Philippe Couillens
Philippe Couillens

zoom sur les dispositions de la loi ELAN par Philippe Couillens

Zoom sur les dispositions de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) par Philippe Couillens, juriste à l’Agence

La couverture numérique du territoire constitue un enjeu prioritaire d’aménagement pour les pouvoirs publics. L’accélération du déploiement de réseaux à très haut débit – qu’il s’agisse de la 4G ou de la fibre optique – vise tout autant à combler la fracture numérique qui s’est creusée entre les territoires les plus denses et les zones les moins denses, qu’à favoriser l’attractivité des territoires, le développement économique et la compétitivité des entreprises ou l’amélioration quotidienne de salariés pouvant pratiquer le télétravail. Ne pas disposer d’un accès à un débit satisfaisant constitue donc pour certains territoires un véritable handicap.

À travers la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique du 23 novembre 2018, dite loi ELAN, le législateur entend poursuivre le mouvement, notamment afin de répondre à la demande de proximité et d’accès aux réseaux et promet « du bon débit pour tous d’ici 2020 et du très haut débit en 2022 » (exposé des motifs). La loi ELAN s’est également fixée pour objectif d’accélérer « l’insertion du logement connecté et du bâtiment intelligent dans le cadre d’une ville connectée, sobre en carbone, et désirable où la digitalisation articulera les services de mobilité et les réseaux au service de l’habitant. »


Le numérique : un bien de première nécessité

Selon Agnès Panier-Runnacher, secrétaire d’état auprès du ministre de l’Économie et des Finances, la loi ELAN souhaite lever les points de blocage juridiques au développement des infrastructures numériques, considérées comme un bien de première nécessité. Ainsi et sans exhaustif, il en résulte que :

  • L’avis conforme (accord) de l’architecte des bâtiments de France, requis pour l’implantation d’antennes relais dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable aux abords d’un monument historique, devient un avis simple (consultatif) ;
  • Le délai d’information du maire, préalablement à la demande d’autorisation d’urbanisme, est fixé à un mois, contre deux mois auparavant ;
  • À titre expérimental, les autorisations d’urbanisme portant sur de nouveaux projets d’implantation d’antennes de radiotéléphonie mobile (avec leur système d’accroches, leurs locaux et leurs installations techniques) ne peuvent désormais plus être retirées jusqu’au 31 décembre 2022. Elles s’appliqueront donc pour les trois prochaines années ;
  • Le processus de commande publique est assoupli, permettant aux collectivités locales de recourir à un marché public de conception-réalisation ou de confier une mission globale de conception, construction, maintenance et exploitation d’infrastructures et de réseaux de communications électroniques ;
  • Les opérateurs des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique se voient garantir, dans le cadre d’une convention signée avec le propriétaire, le syndicat de copropriétaires ou l'association syndicale de propriétaires, l’accessibilité des parties communes pour l’exploitation des lignes, ainsi que pour la construction et la maintenance du raccordement des utilisateurs finaux ;
  • Pour réduire le délai de réponse des copropriétaires, l'assemblée générale est désormais tenue de statuer au plus tard douze mois suivant la proposition d'installer des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique formulée par un opérateur de communications électroniques ;
  • Des sanctions peuvent également être prononcées par l’Autorité de Régulation des Communications électroniques et des Postes (ARCEP) contre un opérateur qui ne respecterait pas ses obligations en matière de déploiement : le montant de cette sanction pécuniaire est « proportionné à la gravité du manquement, appréciée notamment au regard du nombre d'habitants, de kilomètres carrés ou de sites non couverts pour un réseau radioélectrique ou du nombre de locaux non raccordables pour un réseau filaire », sans pouvoir excéder un plafond fixé par l’article L. 36-11 du code des postes et communications électroniques.

L’ensemble de ces dispositions vise à faciliter le déploiement des infrastructures numériques afin de parvenir à remplir la feuille de route à l’horizon 2022.


pour aller plus loin : https://www.amenagement-numerique.gouv.fr/fr/actualite/20190605-loiELAN-voletnumerique

paroles de Philippe Couillens

La loi ELAN fixe l’objectif d’accélérer l’insertion du logement connecté et du bâtiment intelligent dans le cadre d’une ville connectée, sobre en carbone, et désirable où la digitalisation articulera les services de mobilité et les réseaux au service de l’habitant.

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Gouvernance : la fin du laisser-faire ?

Droit et numérique : la croisée des chemins

L’image du juriste enfermé qui, à la lueur d’une lumière trop pâle, recherche patiemment lois et jurisprudences dans une masse de recueils poussiéreux, en suivant un fil que seule sa longue expérience a patiemment tissé, est depuis longtemps largement dépassée. Et de fait, la matière juridique a profondément évolué avec le développement des outils numériques au cours des quinze à vingt dernières années : bases de données en ligne, outils numériques d’aide à la rédaction, saisine dématérialisée des juridictions, espaces collaboratifs de travail (…) ont à la fois facilité le travail des juristes et amélioré l’accès des citoyens au droit et à la justice.

Quel devenir de l’idée de « droit » dans une société numérique ?


À bien des égards pourtant, ces évolutions n’ont eu d’autre effet que de faire évoluer les modes de production et d’application du droit qui existaient jusque-là, sans en changer ni la substance ni le sens. Sans que ne naisse de questionnement sur le devenir même de l’idée de « droit » dans une société numérique.

Mais, ainsi que l’a mis en évidence l’étude annuelle 2017 du Conseil d’État Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’ubérisation ? la révolution numérique qui bouleverse aujourd’hui l’ensemble des sphères de nos sociétés ne nous permet plus d’échapper à cette question fondamentale.
Non. Le droit dans une société numérique ne peut être le même que celui des sociétés industrielles.
« Non » car l’extrême rapidité et la globalité des échanges font ressortir les limites de la territorialité du droit, composante fondamentale de la souveraineté qui lui confère sa légitimité.
« Non » car les transformations qu’entraînent « l’ubérisation » des activités, notamment sur le travail et sur les conditions de production et de distribution des biens et des services, rendent obsolètes une part substantielle des règles existantes.
« Non » car aucun être humain ne saurait par lui-même appréhender ni analyser, notamment pour y déceler des irrégularités, le nombre incalculable de données que génèrent les activités numériques.
« Non » enfin, car chacun d’entre nous est conscient des améliorations qu’apporte le numérique à son quotidien - individualisation des services, rapidité, transparence… - et s’attend légitimement à ce que le droit, sa fabrique, les professions qui l’appliquent et la justice soient empreints des mêmes qualités.


En quête d’un cadre juridique complet et cohérent


La tentation en réponse, de construire ex abrupto de nouveaux cadres juridiques est évidemment instinctive. Autant sans doute qu’elle est vaine. Comment imaginer par exemple pouvoir aujourd’hui construire un cadre juridique complet et cohérent pour les « smart-cities », alors que nul n’est encore capable d’appréhender ce que seront ces villes connectées, jusqu’où iront les interconnexions entre les services, la centralisation des données, ni même quels seront ces services ?

Cette quasi-impossibilité d’anticiper un cadre juridique global n’exclut évidemment pas l’affirmation ou l’adaptation de principes qui nous paraissent devoir être protégés dans les sociétés numériques. Le règlement européen sur la protection des données (RGPD) qui structure la protection de la vie privée à l’ère du numérique en est un exemple évident. Mais la logique qui est la sienne, et qui inspire d’ailleurs les nombreux « bacs à sable » réglementaires autorisés par le législateur national, n’est pas celle d’un cadre prédéterminé de règles ou de suites d’obligations techniques. Et il y a là, peut-être, une piste possible pour tenter de reformer (refonder ?) le droit à l’ère numérique.


Le droit à l’ère numérique : une dynamique de liberté et de partage


Si le RGPD affirme des principes, la logique de « conformité » qui le fonde pour leur mise en œuvre ouvre une dynamique de liberté et de partage des responsabilités bien différente de la logique de contrainte par la réglementation. Liberté quant aux techniques utilisées, liberté d’essayer, liberté de se tromper, liberté d’innover. Responsabilité de chacun des opérateurs de veiller au respect des principes et d’être à même d’en justifier. Responsabilité des régulateurs d’accompagner, de suggérer, de réorienter et, en dernier recours, de sanctionner. En somme, le droit à l’ère numérique est moins des règles omniprésentes que… du droit authentique… des principes et des objectifs de vie en société… dont l’application est une œuvre partagée et la responsabilité de tous.


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