La Smart City n’est plus aujourd’hui un modèle exclusivement réservé aux villes nouvelles ou aux nouveaux quartiers bien que les projets « vitrines » restent cantonnés aux quartiers ou aux villes ex-nihilo. Ce concept et les innovations qui en découlent se diffusent désormais à l’ensemble de l’univers urbain et impactent directement le fonctionnement de notre société : ingénierie du bâtiment, organisation des réseaux urbains (énergie, eau, télécommunications…) et des services publics (dématérialisation des démarches, mobilité connectée…). Cette digitalisation de la ville interroge sur notre dépendance au numérique sous plusieurs aspects : la question des données et de la préservation des libertés individuelles bien sûr, avec la nécessaire identification de leur valeur pour le « commun » et de la gouvernance de ces données d’intérêt territorial ; la question des impacts écologiques, particulièrement en termes de consommation d’énergie et de matériaux ; et enfin, la question de la résilience de la ville et du territoire (de la continuité des services rendus au public) en cas de défaillance de ces systèmes numériques et des réseaux de communication (piratage des données par exemple).
Plusieurs analyses révèlent que la smart city, après plus de 20 ans de conceptualisation, est loin des promesses annoncées, restant trop expérimentale, ou trop spécifique, comme à Singapour. Selon J.F. Soupizet (La smart city, rupture ou adaptation ? Futuribles Sept. 2019), deux projets récents, Quayside à Toronto (2018) et OnDijon (2017), illustrent deux visions radicalement opposées de la ville intelligente.
À Toronto, les autorités gouvernementales ont confié à Sidewalk Labs (Google) la construction d’un nouveau quartier : dans ce cas de figure, les données et leur système d’exploitation fondent le renouvellement de la ville et c’est l’opérateur privé, maître des données, qui prend les clés de la gestion de la ville. Ce projet (malgré la promesse d’un « régime de protection des données urbaines le plus strict au monde ») n’a pas tardé à cristalliser l’opposition de citoyens inquiets, qui contestent en particulier la « privatisation monopolistique des espaces privés. »
À Dijon, un consortium composé de Bouygues énergies & services et Citelum (EDF), en partenariat avec Suez et CapGemini, s’est vu confier l’organisation d’un poste de pilotage centralisé et hyper technologique des 24 communes du territoire : PC sécurité, supervision urbaine, PC circulation, PC neige et service Allô mairie. Inauguré au printemps 2019, il marque la connexion des services publics et la centralisation des données pour permettre la gestion à distance de la cité. L’ensemble des équipements, de l’éclairage public à la gestion des eaux, est concerné.
Qu’elle soit privatisée (Google) ou dans le giron de la Collectivité, la question de la gouvernance est d’abord celle de la prise de contrôle et de sa centralisation. Quelle que soit l’approche, il semble communément admis que la clé de la transformation de la ville est d’abord entre les mains des citoyens sans l’aval desquels la réussite est compromise. Quand l’urgence climatique et sociale commande, l’utopie futuriste pourrait céder le pas, en matière d’urbanisme, à ce que Grégoire Allix, dans Le Monde du 22 novembre, désigne comme un « urbanisme de réparation ». L’urbanité d’abord.
vidéo : entretien avec Dorian Martin, chargé d'études Territoires / Commerce à l'Agence, et Vincent Joly, responsable des travaux Bouygues Construction à lire : LearningGrid by Grenoble : une première européenne ! à lire : Baromètre des smart territoires