Un modèle à la croisée des chemins
Le ralentissement de la demande mondiale liée à la crise de 2008 a engendré des licenciements dans ces secteurs moteurs et le territoire métropolitain peine à retrouver son niveau d’emploi antérieur. Cette tendance met à jour des fragilités « structurelles » du territoire métropolitain qui interrogent désormais la capacité de résilience d’une activité productive locale faisant le pari d’industrialiser l’« innovation » autour d’incitations à la création de « start-up ». Ce modèle de développement, qualifié de « technopolitain »1 se situe désormais à la croisée de nouveaux sentiers de développement. L’étude des processus de création de « jeunes entreprises innovantes » nous permet de porter au débat deux points :
La question du prolongement du modèle antérieur pouvant être appréhendé sous l’angle d’une dépendance au sentier ;
L’émergence de bifurcations plus discrètes jetant les bases d’un renouveau productif du territoire métropolitain.
Des questions et une méthode
Cette recherche s’est construite autour d’entretiens réalisés auprès de 50 entrepreneurs de « start-up »2 dans une diversité de filières (industrie du logiciel, cleantech, énergie, santé, micro/nano technologies, sport-loisirs-montagne). Le choix de ces start-up s’est fait à la croisée de différents critères : création depuis moins de 5 ans, entité sur le territoire métropolitain grenoblois, statuts déposés. En utilisant la méthode dite des narrations quantifiées (Grossetti, 2011)3 , nous avons interrogé le processus de création de ces start-up, en reconstituant sur une base chronologique les différentes ressources mobilisées et leurs modalités d’accès. Des « chaînes relationnelles » se sont dessinées reliant ces entrepreneurs à des ressources matérielles (locaux, technologies, fournisseurs…) et immatérielles (financement, conseils techniques, crédibilité, informations…). Nous avons adopté un traitement statistique descriptif des données collectées : par exemple, avant le dépôt des statuts, les liens interpersonnels « faibles » ayant permis l’accès à différentes ressources utiles à la création de l’activité sont à 74,6 % inscrits dans des relations dépendantes du territoire métropolitain.
Types de liens permettant aux entrepreneurs d’accéder à des ressources et localité, avant et après le dépôt des statuts légaux
Deux grands résultats
Le temps de la création : des ressources « encastrées » dans un contexte métropolitain
Les ressources mobilisées avant dépôt des statuts sont majoritairement inscrites dans un tissu de relations « métropolitaines » (71,6 %) montrant une forme d’encastrement « territorial » de ces entreprises vis-à-vis de divers réseaux grenoblois. Cette tendance se réduit après dépôt des statuts, où ce chiffre ne s’élève plus qu’à 48,6 %. Il s’explique par le fait que les entrepreneurs vont s’autonomiser de ces contextes locaux pour accéder à des marchés nationaux (19 %) voire internationaux (18,3 %). Dans un premier temps donc, les start-up se retrouvent dépendantes de ressources humaines, de locaux, de conseils techniques et de conseils légaux et commerciaux assurés par des acteurs institutionnels locaux et par le « portefeuille relationnel » des fondateurs inscrit dans leurs expériences professionnelles antérieures. L’internationalisation des marchés résonne comme un marqueur fort du développement de ces activités. Ces processus nous donnent à voir des relations évolutives au territoire dans un dialogue permanent entre différentes échelles territoriales.
L’héritage du temps long : des liens essentiellement institutionnels
Nous constatons que les liens institutionnels pour accéder aux ressources sont les plus prégnants, à hauteur de 40,6 % avant dépôt des statuts, puis 37,3 % après dépôt. Viennent ensuite les liens interpersonnels qui sont le fait de plus du tiers des ressources mobilisées (34,1 %). En regardant dans le détail, certaines institutions se retrouvent très sollicitées, et d’autres moins, comme les incubateurs à titre d’exemple (9,7 % des ressources globales). Ces quelques éléments nourrissent l’idée d’une dépendance relativement éclatée et donc loin d’être uniforme à l’échelle du territoire métropolitain. L’idée d’un « monde technopolitain » unique et partagé par l’ensemble des acteurs laisse ainsi la place à une diversité de réseaux plus ou moins matures à l’échelle du territoire.
Dans une perspective opérationnelle, cette étude permet d’identifier deux éléments potentiels d’actions au niveau du territoire : les filières technologiques les moins matures ont besoin d’une meilleure attention et d’un accompagnement plus soutenu à la manière de celui fourni aux secteurs étudiés. Il semble également nécessaire d'identifier les passerelles existantes entre les filières / secteurs (marchés communs, compétences communes, etc.) car de nombreuses nouvelles initiatives sont le fruit de croisements sectoriels. La seule animation de filières ne peut donc constituer l’unique perspective de l’action.
1 Voir à ce titre : Novarina G. et Seigneuret N. (dir.) (2015), De la technopole à la métropole ? L’exemple de Grenoble, Ed. Le Moniteur, Paris, 231 p.
2 L’identification et le choix de ces initiatives se sont réalisés en interaction avec l’Observatoire des start-up déployé par la structure « Invest in Grenoble Alpes » et piloté par Morgane Le Doaré. Nous la remercions de cette collaboration active.
3 Grossetti, M. (2011). Les narrations quantifiées : Une méthode mixte pour étudier des processus sociaux. Terrains & travaux, 19, 161-182. https://doi.org/10.3917/tt.019.0161