Édito
La « révolution numérique » : une chance ? pour tous ?
En moins d’une génération, d’internet au smartphone, des objets connectés à l’intelligence artificielle, le numérique - soutenu par le déploiement du très haut débit - a bouleversé nos territoires et nos usages, modifiant notre rapport aux autres, dessinant une nouvelle vision (de nouvelles visions ?) du monde, accélérant le cours des transitions dans les domaines de l’énergie, des mobilités, de la citoyenneté…
Le fait se veut admis : la société est digitale ; Internet est solidement ancré dans notre quotidien. Une sorte de déterminisme semble nous emporter vers un futur hors de contrôle. Dont acte ? Entre mythes et fantasmes, les dernières statistiques de l’Insee nous ramènent à une réalité nettement pondérée.
En France (comme en Europe), un internaute sur trois manque de compétences numériques de base. Parmi les + de quinze ans, 15 % ne se sont jamais connecté au cours de l’année. Et que dire de tous ces précaires, personnes âgées, peu diplômées, isolées… exclues de la grande révolution, frappées d’illectronisme : un Français sur six ! Treize millions de personnes ! On déplore également la mise sous tension des ressources provoquée par cinquante milliards d’objets connectés dans le monde, et le coût carbone croissant des informations stockées et échangées (neuf milliards de mails / heure). On comprend qu’aujourd’hui, selon une étude récente du Credoc, les Français qui voient le numérique comme une menace sont désormais plus nombreux que celles et ceux qui le vivent comme une chance.
Derrière ce noir tableau, la promesse de progrès réellement profitables à tous, créateurs de liens plutôt que de nouvelles fractures, est-elle encore crédible ? Sans doute oui, sous réserve d’une grande vigilance et de garde-fous solides, notamment éthiques et juridiques, quand l’ombre du big data plane sur nos principes et valeurs fondamentaux. C’est une question que pose Jean-Marie Cavada dans sa récente tribune* : « comment tirer un profit individuel et collectif de ce monde numérique tout en préservant les acquis de plusieurs générations de droits et libertés ? »
Ni technophile ni technophobe, l’Agence souscrit à cet appel comme à tous ceux qui militent en faveur de démarches numériques dont l’utilité publique est partagée. Amélioration de la santé et du bien-être, gestion de l’énergie et des ressources naturelles, préservation de l’environnement, coordination et déploiement de mobilités responsables… Dans sa contribution à l’observation et au futur des territoires, par son rôle important de collecteur et de producteur de données, chaque pan de son activité est concerné et questionné.
On l’aura compris, le numérique peut apporter le meilleur et le pire. Choisir la place qu’on lui accordera dans le monde de demain et s’y préparer ensemble, répondre aux attentes des citoyens et des territoires sans en oublier aucun, améliorer la gestion collaborative des données « d’intérêt territorial » à l’échelle de la région grenobloise… : quel rôle pour l’Agence ? quel renouveau pour l’urbanisme ? quels outils au service d’un modèle repensé pour l’action et le service publics dans tous les territoires ? quelles priorités numériques en regard de quels usages ?
Sur sollicitation du Conseil scientifique de l’Agence, Grand A a souhaité faire le point sur ces questions, avec le concours d’un large panel d’acteurs et d’expert.
*Pour une déclaration des droits et libertés fondamentaux numériques » Le Journal du Dimanche, 19 octobre 2019
Benoît Parent,
Directeur de l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise