Constat : une prédominance de la mobilité individuelle en milieu rural
Aujourd’hui, force est de constater la prédominance de la voiture individuelle dans les pratiques de mobilités des habitants en milieu rural. Alors que la part modale de la voiture individuelle diminue en milieu urbain, elle stagne en milieu rural voire a même tendance à augmenter encore dans certains territoires.
Les freins au développement des mobilités alternatives sur ces territoires sont connus :
- Des transports collectifs non-adaptés à l’étalement urbain et à des formes d’habitat très lâches et donc, trop coûteux au regard du nombre d’usagers desservis ;
- L’absence d’une masse critique pour développer des services de mobilités partagées (covoiturage organisé / autopartage) rentables économiquement ;
- Des collectivités qui ont peu de moyens humains et financiers et qui bien souvent, n'ont pas la compétence en matière de mobilité : les zones blanches de la mobilité auxquelles le projet de loi LOM devrait apporter une réponse prochaine.
En dépit de ce constat, les secteurs montagnards semblent présenter des caractéristiques propices au développement des mobilités alternatives ; ici l’idée d’une « solidarité villageoise » n’est pas une image d’Épinal mais une réalité. Il semble en outre que les flux se cumulent sur quelques axes (pour monter dans le Vercors il n’y a que deux routes). Enfin, les distances longues pour les trajets pendulaires incitent au partage des frais…
Le numérique n’est pas l’alpha et l’oméga de la mobilité alternative
Comme dans tous les domaines, le numérique est venu bousculer les habitudes en matière de mobilités. Aussi est-il légitime de se demander en quoi il pourrait apporter des réponses spécifiques aux enjeux de mobilité de ces territoires ruraux et montagnards.
À ce titre, l’exemple du service e-covoiturage du Département de l’Isère en 2011 est riche d’enseignements. L’expérimentation d’un service de covoiturage dynamique sur le plateau du Vercors n’a pas fonctionné et a été interrompue... Outre les problèmes techniques (le réseau téléphonique n’était pas suffisamment développé à l’époque), la leçon à retenir est qu’il ne faut pas que la technologie précède le changement de comportement. C’est vraisemblablement l’écueil rencontré par cette initiative qui a toutefois permis de tester le covoiturage dynamique bien avant la multiplication des plateformes de mise en relation portées par des start-up.
Ce point paraît essentiel pour comprendre le potentiel du numérique en matière d’accompagnement au changement. Le numérique, comme toute autre technologie, ne peut pas tout à lui seul mais il constitue une formidable opportunité pour accélérer le passage d’une société de la mobilité individuelle vers une société de la mobilité partagée. Il facilite l’accès à l’information sur l’offre de mobilité mais aussi l’accès aux nouveaux services de mobilité.
Cette idée d’un numérique facilitateur étant acceptée, la question qui se pose est la suivante : quels sont les enjeux de gouvernance à la fois avec les nouveaux acteurs de la mobilité mais aussi, entre les différentes échelles territoriales ?
Pour une gouvernance public-privé agile de la "smart mobility"
En premier lieu, dans un contexte de nette accélération de la création de services de mobilités, le smart village doit trouver un modèle de gouvernance pour intégrer ces nouveaux services. L'enjeu de travailler avec les acteurs privés des nouvelles mobilités paraît d’autant plus important en milieu rural et montagnard où la puissance publique peine à proposer des solutions de mobilité pérennes et efficaces. Les exemples dans la région grenobloise montrent que différents types de coopération existent qui toutes, nécessitent une implication plus ou moins forte des collectivités territoriales.
L’exemple de Moov’Ici, plateforme de mise en relation portée par la région Auvergne-Rhône-Alpes, montre un projet public “classique” qui peine à trouver le succès. Outre le fait que ce type d’outils a du mal à fonctionner généralement, nous pouvons émettre l’hypothèse que cette expérience se heurte à une certaine inertie liée aux contraintes propres du monde des collectivités qui ne permettent pas la réactivité nécessaire à ce type d’innovation, en constante évolution.
Un autre exemple de service interpelle les spécialistes du covoiturage de la région. Il s’agit d’“Illicov”, un service de covoiturage spontané et dynamique développé par la Roue verte. Expérimenté dans le Vercors, ce service était dans sa version initiale assez coûteux car il offrait une garantie de trajet aux covoitureurs n’ayant pas trouvé de voiture (au bout de 15 minutes d’attente, un taxi était envoyé à l’usager pour l’amener à bon port). L’innovation du service résidait dans ce principe assumé de faire payer le passager en échange d’un service fiable et de qualité.
Plus intéressante est la manière dont Illicov s’est implanté sans discussions préalables avec les collectivités. C’est une particularité commune aux entreprises de l’économie du partage : n'ayant pas besoin d’aménagement physique, elles peuvent se développer de manière assez autonome. C’est comme cela qu’Illicov a pu s’implanter spontanément, avec une mise en œuvre très rapide. Par contre, le service a souffert du manque d’appui des collectivités, notamment en termes d’aménagement. C’est ce qui lui aura été préjudiciable lors de la mise en place d’une seconde ligne.
L’expérience Illicov Vercors a essaimé dans d’autres territoires. Aujourd’hui, le service développe en effet des lignes de covoiturage pour le Département de l’Isère, ce qui lui permet désormais de proposer au passager un service gratuit. Ce changement de gouvernance avec un investissement financier de la collectivité devrait permettre à Illicov de se développer plus rapidement et de se pérenniser avec un modèle économique plus supportable pour l’usager.
Dans une logique différente, le développement de l’autopartage dans le Trièves montre comment une collectivité attire un service de mobilité. Citiz Alpes Loire, opérateur historique dans la région, est une SCIC qui a fait ses preuves en milieu urbain et à Grenoble tout particulièrement. Pendant longtemps, son développement a été basé sur une logique en tâche d'huile en milieu urbain. Aujourd’hui, Citiz essaie de développer des stations d’autopartage dans des secteurs ruraux. À cette fin, la SCIC cherche à s’assurer qu'un certain nombre d’usagers sont prêts à passer le pas, notamment en achetant des parts sociales. Dans le cas du Trièves et contrairement à Illicov, c’est la collectivité qui a permis d’accélérer le passage à l’acte en acquérant elle-même des parts sociales.
Ces exemples ne préjugent en rien de l’efficacité comparée des approches mais ils permettent de conclure que le Smart Village devra faire avec une hybridation publique-privé la plus agile possible.
Smart mobility : l'enjeu de la coopération territoriale
La mobilité en milieu rural, comme dans l’ensemble des bassins de vie, doit être réfléchie à la bonne échelle, notamment pour s’interconnecter avec les réseaux de mobilité des territoires avoisinants. C’est d’autant plus vrai qu’il est nécessaire de permettre aux usagers pendulaires d’accéder aux modes de transports structurants. La mobilité ne peut pas se penser uniquement à l’échelle villageoise, même si on sent bien que cette échelle porte en elle des enjeux très intéressants sur lesquels il faudrait capitaliser. L’intermodalité entre les nouveaux services de mobilités rurales et les réseaux de transports urbains passe par des collaborations plus ou moins formelles entre les collectivités. Cette intermodalité peut consister modestement en l’aménagement d’un poteau « stop » en interconnexion avec un tramway mais elle peut prendre des formes de coopération de services plus formelles et institutionnelles. L’exemple du partenariat entre la métropole de Grenoble et le Parc naturel régional du Vercors l’illustre, à travers l’expérimentation de bornes de covoiturage en intermodalité avec le réseau de transports en commun.
L’autre enjeu de la gouvernance territoriale de la mobilité en milieu rural est de permettre la continuité des services de nouvelles mobilités dans une logique de réseau. Le covoiturage notamment, mis en avant par la loi LOM, bénéficie d’un contexte très favorable avec le développement d’infrastructures lourdes en projet ou en chantier (parkings de covoiturage, des voies réservées…) dans bon nombre de territoires. Dans la région grenobloise, la mise en œuvre de la voie dédiée au covoiturage sur l’A48 concerne à double titre les territoires ruraux. En premier lieu, les communes rurales et montagnardes portent une part de responsabilité dans la réussite de cette infrastructure car la constitution des équipages de covoiturage devra se faire le plus en amont possible. Il est important d’éviter la réalisation de surfaces importantes de stationnement aux abords immédiat de la voie réservée. Cette dernière représente en outre une opportunité pour ces territoires « portes d’entrée » : il y a fort à parier en effet que des services de mobilités vont se développer en misant sur l’effet levier de l’infrastructure pour capter une masse d’usagers de nature à rentabiliser leur modèle économique.
Le Smart Village dans son volet mobilité aura alors un rôle à jouer pour que ces services se fassent dans l’intérêt général et en lien avec l’ensemble du bassin de mobilité.
La plateforme de mobilité villageoise, un maas qui ne porte pas son nom
Le smart village pourrait jouer un rôle majeur d’orchestration, dont le numérique serait l’outil de prédilection. Cette approche a été conceptualisée et se nomme le MaaS. Très ancré dans le milieu urbain, ce concept consiste à permettre à l’usager d’accéder à l‘ensemble des services de mobilité d’un territoire de la manière la plus simple possible, via une application. Cela va du niveau d’intégration le plus faible avec une simple information sur les différentes offres existantes dans un calculateur d’itinéraires, jusqu’à l’achat de titres de transport proposé par n’importe quel opérateur depuis une plateforme unique. Ces nouveaux outils, qui se développent dans toutes les métropoles françaises aujourd’hui, sont souvent présentés comme la solution miracle aux problèmes de mobilité actuels. Au-delà de cet aspect messianique, la démarche est intéressante.
Nous pourrions imaginer la transposition concept de MaaS dans les territoires où il est moins attendu, c’est-à-dire là où il y a très peu d’offres de mobilité ce qui, par définition, ne justifierait pas son usage. Passons les considérations techniques, contractuelles et économiques pour se pencher uniquement sur le principe de disposer d’une plateforme de mobilité villageoise. Son objectif serait de faciliter l’accès à l‘information des services de mobilité existants voire de créer une dynamique collective en faveur d’une mobilité partagée en associant entreprises et administrations du territoire. Ici le numérique jouerait pleinement son rôle de facilitateur, au service de l’organisation personnelle de chacun. Aujourd’hui il faut une vraie gymnastique en amont de chaque déplacement pour une mobilité alternative. Le numérique pourrait rendre cette gymnastique moins acrobatique...
Ce scénario en apparence très utopique pourrait un jour s’approcher de la réalité. Dans la région grenobloise, le projet de MaaS se nomme Pass'Mobilité. Il présente la particularité de porter une vision très ouverte du numérique, où la puissance publique garde toutefois la main sur les échanges. À l’heure où la région grenobloise est en pleine révolution institutionnelle avec la transformation du SMTC (Syndicat mixte des transports collectifs de l’agglomération grenobloise) en SMMAG (Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise), l’ensemble du territoire du Sud Isère serait potentiellement couvert : une réponse aux enjeux de gouvernance de la mobilité évoqués ci-avant.
La low tech pour une gouvernance intelligente
Une expérience prend le contrepied de ce qui précède. Elle se situe dans le du registre du « low tech », qui fait référence à des innovations simples, pratiques et économiques, en opposition à un « high tech » plus complexe et dispendieux.
Il s'agit de l'implantation du service de covoiturage spontané RézoPouce dans la région grenobloise (un stop moderne). Le premier enseignement de cette expérience est que la clef de réussite passe par un effort d’animation sans relâche car il faut aller chercher les usagers par la main, ce que ne sait pas faire le numérique aujourd'hui. Cette importance de l’animation est à garder en tête pour construire une démarche smart mobility. Mais c’est surtout la gouvernance du projet qui est intéressante. En effet, la mise en place de ce service opéré par un seul et même prestataire sur différents territoires de la région a été rendue possible par une étroite collaboration des techniciens en charge des mobilités au sein d’une autorité organisatrice regroupant plusieurs collectivités. Il y a eu volonté dès le début de proposer une offre de mobilité unique, par souci de cohérence et de lisibilité pour l’usager, dans un contexte d’offre pléthorique. Cette dynamique a gagné les élus qui, pour certains, portent aujourd’hui ce projet. Les implantations du service se sont échelonnées au gré des contraintes financières et réglementaires de chaque territoire. Même si ce projet n’a pas eu le succès escompté, sa construction constitue un modèle d’intelligence collective inspirante pour les réflexions sur le smart village.